A fleur de peau (Jodi Picoult)

MICHEL LAFON POCHE (2018) – 652 PAGES

LU : 16.05.2021-24.05.2021

« Quand votre fils ne vous regarde jamais dans les yeux… comment savoir s’il est coupable ?
Adolescent atteint du syndrome d’Asperger, Jacob Hunt ne se passionne que pour la criminologie. Lorsqu’un assassinat se produit dans le quartier, il devient le suspect idéal. Enfermé dans sa bulle, Jacob est incapable de se défendre. Sa mère et son frère décident alors de se battre face à l’intolérance et l’incompréhension qui ont toujours menacé leur famille. »

Jodi Picoult nous fait vivre aux côtés d’une famille atypique. Nous sommes en immersion dans les émotions de chacun des personnages, sans détour. Emma est une mère célibataire. Elle élève seule ses deux enfants, Jacob et Théo, depuis que leur père les a quittés alors que Théo n’avait que quelques mois. Leur couple n’aurait pas survécu aux conséquences du syndrome Asperger dont souffre Jacob. Depuis, Emma n’a eu de cesse de palier à l’absence paternelle, mettant sa vie de femme et sa vie professionnelle entre parenthèses pour se consacrer corps et âme au bien-être de ses enfants, mais surtout à celui de Jacob. Parce qu’élever seule un enfant autiste, ce n’est pas rien. Alors lorsque son fils, Jacob, est accusé de meurtre, c’est toute sa vie qui bascule, et le semblant d’équilibre familial qu’elle avait réussi à créer s’écroule comme un château de cartes.

Jacob est un jeune homme atteint du syndrome d’Asperger. Il a d’énormes difficultés à créer du lien social avec autrui, mais est doté d’une intelligence exceptionnelle et d’un sens de l’observation hors du commun. Passionné de criminologie, il regarde en boucle des épisodes de son émission préférée intitulée « Crime Busters » et prend des notes à n’en plus finir, sa passion le menant même à se rendre sur des scènes de crime et ainsi se faire remarquer par la police. C’est ainsi qu’il va se retrouver malgré lui accusé de meurtre, lorsqu’une jeune femme est portée disparue et que son corps est finalement retrouvé, portant de multiples contusions. Tout porte à croire que Jacob est coupable et nous allons suivre son procès tout au long du roman, avec tout ce que ça engendre et implique comme bouleversements pour lui, mais aussi pour tout le reste de la famille.

Mais qu’en est il de Théo, le cadet, le deuxième, l’enfant qui est venu après ? C’est un adolescent de prime abord tout ce qu’il y a de plus normal, avec des humeurs changeantes et un côté solitaire. Pourtant, sous ses airs de rebelle, Théo souffre également de la situation, lui qui a toujours joué au grand frère alors que les rôles auraient dû être inversés. En manque d’affection et de reconnaissance, Théo a toujours secrètement espéré que Jacob n’ait jamais été différent.

C’est un roman chorale où chaque chapitre nous plonge dans les pensées d’un personnage. Nous avons donc le point de vue d’Emma, la mère, de Jacob, l’accusé, et de Théo, le frère cadet. Mais nous sommes aussi amenés à suivre Oliver, l’avocat de la famille, et Rich, le policier qui a mis Jacob en état d’arrestation. Ce qui a rendu très intéressant le déroulement du roman, c’est de pouvoir voir la situation à travers les yeux de chacun et d’avoir le point de vue de personnes qui se positionnent toutes différemment.

L’auteure nous livre ici une histoire familiale magnifique, tant dans sa fragilité que dans sa force. Avoir un enfant atteint d’autisme (ou de tout autre handicap) implique énormément de sacrifices. Mais en être le frère est tout aussi difficile et douloureux. Nous en apprenons beaucoup sur les symptômes du syndrome Asperger, mais aussi sur ses conséquences (attention, il existe de multiples symptômes, tous les autistes n’ont pas les mêmes comportements ou réactions que Jacob). Les chapitres du point de vue de Jacob sont très immersifs et nous permettent de mieux comprendre ce qu’un autiste peut ressentir. Le point de vue de Théo, le frère, est également très intéressant. Il nous permet de voir à quel point il est difficile de vivre avec un frère ou une soeur porteur de handicap. Nous sommes également renseignés sur les rouages de la justice au travers de cette histoire, et voir à quel point le juge et les forces de l’ordre manquent d’empathie au sujet de Jacob nous prouve que le système est défaillant. Nous parlons ici d’un roman qui a été écrit en 2010, et j’ose espérer que les choses ont changé depuis.

C’était une très belle lecture, à laquelle il m’est arrivé de m’identifier à certains passages. Parce que oui, élever un enfant différent, c’est douloureux, c’est compliqué, et c’est épuisant. Elever un enfant différent, c’est se perdre un peu soi-même.

Pour finir, j’ai envie de citer quelques passages :

« Les mères sont censées soutenir leurs enfants. Les mères sont censées croire en leurs enfants, quoi qu’il advienne. Les mères se mentiront, s’il le faut, pour épauler leurs enfants. »

« On peut penser que moi aussi je suis différente. J’ai volontairement sacrifié mon avenir à celui de Jacob, renoncé à toute opportunité personnel afin de faciliter le quotidien de mon fils. J’ai laissé toutes mes relations partir à vau-l’eau, à l’exception de celle que j’ai bâtie avec Jacob. J’ai fait des choix que d’autres femmes n’auraient jamais faits. Au mieux, cela faisait de moi une mère courageuse. Au pire, une obstinée. »

Un petit mot ?